Quand était-ce, la dernière fois que j’ai gardé un livre serré contre moi après l’avoir refermé sur la dernière page ?
Et qu’est-ce que ça peut bien faire, de toute façon …
Le dernier qui avait sur m’embarquer de la sorte s’appelait Emmanuel Carrère ; j’étais tombée pour l’érotisme et l’espèce d’incroyable mise en danger personnelle de son Roman Russe. Et depuis, rien.
Plus de trois ans donc, que je n’avais pas été émue, que je n’avais pas eu cette sensation magique de lire un auteur VERITABLE. Pas un abonné aux « rentrées littéraires », de ceux qui pondent un livre par an dès leur premier succès et qui, s’ils enrichissent incontestablement les éditeurs, appauvrissent avec le même enthousiasme ce que je n’ose plus appeler « littérature »; non.
Mais quelqu’un qui me questionnerait, qui me remuerait, qui saurait être patient avec son récit, lui offrant ce temps de la construction, ce temps de la naissance. Quelqu’un qui aurait, visiblement, TRAVAILLÉ. Et qui m’emporterait dans une histoire que je n’arriverai plus à lâcher, comme celles de mon enfance, celles que je lisais d’une traite à la lueur d’une lampe de poche, cachée sous les draps.
Le plus beau, en fait, c’est que Sandro Veronesi m’a prise par surprise. Je m’imaginais, sans doute, que je connaissais toutes les ficelles ; avec lui, je n’ai rien vu venir.
Il faut dire aussi, que la scène qui ouvre son roman m’avait complètement fait oublier la quatrième de couverture. A croire que le type m’avait lancé un hameçon et que le leurre était si parfait que j’ai foncé tête baissée, sans pouvoir réfléchir. Pas comme si je n’avais pas eu ma chance, pourtant. Mais il m’avait ferrée dés le départ, l’animal. Et je remontais à la villa avec lui, prête à lire le récit de son récit, savourant de ma place de lecteur l’ironie de la situation, le sourire aux lèvres. Jusqu’à ce que…
Le choc passé, la narration s’est installée. A la Beckett, parait-il. J’ai trop peu lu Beckett pour en juger ; je n’ai guère plus le choix que d’y remédier à présent. Toujours est-il que ma méfiance s’est endormie à nouveau. J’avais décidé une fois pour toutes que le roman était plaisant, distrayant. Point.
Las, ce n’est qu’à la fin que je me suis aperçue que je m’étais fait berner une fois de plus. A cause de la chute, bien sûr, et des quelques larmes que j’ai versées, finalement. Mais pas seulement.
Parce que je me suis rendue compte, je crois.
Je me suis rendue compte que ce type là, ce Sandro Veronesi dont je n’avais seulement jamais entendu parler – un « auteur » italien, allons donc -, avait réussi à me mener exactement là où il l’avait souhaité. Je me suis rendue compte que je m’étais remise à lire avec avidité ; préférant un moment de lecture à une session Facebook ou à l’écriture d’un billet de blog, voire à une soirée concert, pour avancer, avancer encore dans ses pages. Je me suis rendue compte que la fin me laissait en quelque sorte orpheline ou pire encore, dans l’état d’une droguée qui vient d’avoir son shoot et sait qu’elle ne peut plus que redescendre, désormais. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : je me rends compte que je suis une droguée en fait : c’est toujours cet effet précis que je recherche avec les gens, la musique ou les livres.
Bien entendu, toutes ces choses ne pouvaient PAS être l’effet d’un roman qui serait seulement « distrayant » mais au contraire, subtil, délicat, formidablement intelligent.
Et c’est pour toutes ces raisons, alors que j’étais étendue là sur mon canapé orange, et que je venais de tourner cette fichue dernière page, que j’ai gardé ce livre serré contre moi quelques instants.
Pour le retenir encore un peu. Avant de retrouver ce putain d’état de manque qui ne me quitte jamais.
NB : merci Marie
Et bien…. contente de t’avoir prêté ce livre 😉
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