
Découvrant la musique d’Interpol, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait de contemporains de Joy Division. Jamais je n’aurais cru ce millénaire capable d’accoucher d’une cold-wave de cette trempe, planant aussi haut au dessus de la mêlée, avec une voix hyper mûre limite d’outre-tombe, forcément celle d’un suicidaire miraculeusement rescapé des années 80, voire 70.
Partant de là, j’étais très loin d’imaginer les voir en concert un jour .
Pourtant me voilà au Trabendo en ce vendredi 17 septembre de l’an de grâce 2010, parmi sept-cent autres privilégiés qui ont dû, comme mon homme et à l’arrache, faire le pied de grue devant un guichet Fnac à 10h pétantes un jour de semaine.
Il faut dire qu’après l’excellentissime Antics qui figure toujours dans le top ten de notre platine, on a un peu usé et abusé de l’album éponyme que vient de nous pondre le (désormais) trio. Et qu’avant la première partie de U2, ces messieurs qui sont loin d’être les « vieux » que j’imaginais, avaient sans doute besoin de se faire une petite répèt grandeur nature pour affronter sereinement le Stade de France. L’aubaine était trop bonne, alors que je m’étais usée les yeux à force de guetter une pauvre date parisienne et que j’avais fini par me dire que Lille ou Caen … avec un petit road trip par dessus le marché, après tout …
Trabendo nous voilà, donc, et dès 19h30, même si, passage à la Fnac en fin d’après-midi oblige, Interpol ne commencera pas son set avant 21h20, ce qui nous donnera le temps de bien monter en pression.
Dès les premières mesures de Success, le 1er single du nouvel album (éponyme cette fois), le concert est déjà un must. Bonheur suprême, le son est excellent où nous sommes placés, près de la console à laquelle officie un ingé son au physique digne de ZZ Top. Et pour être tout à fait honnête, ce n’est qu’au moment d’écrire ce billet, après s’être gavés de vidéos de live, qu’on a pris la mesure de l’absence du bassiste Carlos Dengler, remplacé par un pâle Dave Pajo. Vu les prestations épiques du DJ New-Yorkais, on préfère d’ailleurs l’avoir ignoré. Toujours est-il qu’en ces premiers instants, il ne faut qu’une poignée de secondes pour jauger les trois membres originels, et savoir qu’on va s’offrir là un concert d’anthologie.
Paul Banks, c’est ce qui frappe en premier, a une voix plus époustouflante encore en live qu’elle ne l’est en studio. Plutôt rigide dans sa gestuelle, il est aussi peu expressif corporellement qu’il balance fort de sa voix d’une puissance telle qu’elle remplit toute la salle. Il parle français aussi, avec un accent remarquable ; même s’il n’est pas là pour raconter sa vie, visiblement. Mais peu importe, car son timbre est un alibi absolu et emporte tout sur son passage. Impossible d’être plus convaincant, on a du mal à se concentrer sur quoi que ce soit d’autre en ce début de concert.
De titre en titre cependant, la mayonnaise monte et les autres membres du groupe se révèlent.
L’impeccable batteur, certes, sans qui le groupe perdrait une rythmique en forme de colonne vertébrale mais surtout Daniel Kessler, à l’évidence véritable leader du groupe.
On n’aurait jamais cru quiconque capable d’évincer en charisme le chanteur et pourtant, on finit par ne plus avoir d’yeux que pour le jeu de scène du guitariste qui transcenderait ce live à lui seul. Les yeux fermés, la tête penchée sur sa guitare, balançant de droite et de gauche au rythme des accords, il arpente la scène comme un lion en cage ou, plus tard, arc-boute son corps comme s’il exécutait une souplesse arrière, sans toutefois rien perdre de la tension qui l’habite.
On pourrait mourir si tous les musiciens de concerts jouaient de cette façon, ne faisant qu’un avec leur musique en faisant oublier tout le reste, fasciné comme on ne peut que l’être devant ce type qui a l’air de s’inclure tout entier dans ses morceaux. On ne serait pas autrement surpris si on nous annonçait qu’il avait joué sa vie avec la faucheuse sur chacun d’entre eux. Et en attendant, on se surprend à l’envier à en pleurer pour le pied monstrueux qu’il prend là, sous nos yeux, sans égard aucun pour nos vies entières tellement, tellement fades en comparaison de sa succession d’uniques instants à lui.
« Excuse me waiter, i’m having what HE’s having. ! » (Please)
Addicted aux albums deux et quatre, la succession Evil / Barricade / Lights / Narc / Take You On A Cruise a de quoi rendre dingue. On ne sait plus où donner de la tête, ni où le trip pourrait bien s’arrêter ; malgré le relatif ratage de Narc tout de même, aussitôt rattrapé par un Take You On A Cruise proche de la perfection. Puisqu’on ne connait pas le premier album, on profite d’une pause sur le titre suivant, mais pas longtemps. Car l’enchainement qui suit pourrait bien être le meilleur moment du concert. Try It On. Sa litanie au piano, pour commencer.
Et la batterie qui s’élève, devançant sur la voix crépuscuplaire qui monte à son tour : « I need the sunlight | to keep me above… », et la guitare qui s’invite, enfin : « Please explore | my love’s endurance », accentuant le crescendo tendu tout entier vers la supplique : « There’s no change | Nowhere to stay | Oh- (Please, please) | Try it on | Try it on | And stay, stay ». Les machines assurent une parfaite transition vers Not Even Jail, hommage à Joy Division s’il en est (« Remember take hold of your time here | Give some meanings to the means | To your end. | Not even jail. »). L’émotion et le rythme mêlés nous transportent loin. Et comme il est difficile de redescendre après ça …
C’est l’heure du dernier titre pourtant, et d’un rappel aussi. Et de la fin surtout. Qui nous laisse tous un peu hagards, et qu’on a du mal à encaisser.
Qui peut accepter sans révolte la fin d’un tel concert.
La fin, malgré la faim qui reste…
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Toutes les photos sur le Flick’r d’Isatagada
Toutes les vidéos du concert sur le Youtube d’Isatagada
Setlist Interpol @ Le Trabendo, Paris – 17 septembre 2010 : Success / Say Hello To The Angels / C’Mere / Summer Well / Rest My Chemistry / Evil / Barricade /Lights / Narc / Take You On A Cruise /Stella Was A Diver And She Was Always Down / Try It On / Not Even Jail / Obstacle 1 // Encore : NYC / Slow Hands /PDA
Prochain concerts en France :
Le 21/09/10 : Euralille L’Aéronef
Le 25/09/10 : Eysines Salle du Vigean
Le 06/10/10 : Ramonville Saint-Agne Le Bikini
Le 16/11/10 : Marseille Dock des Suds
EDIT du 28/9 : Interpol revient à Paris le 15/03/2011 (Le Zénith de Paris)

Hello!!!
Encore un grand merci pour les videos…Vivement le Zenith!!!
Et bravo pour le blog!!!
Tout le meilleur…
:o)
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Tu n’as pas le 1er album ??? Fonce…
Dessus, plein de pépites à découvrir.
A force de l’écouter, après plusieurs années, je peux dire que « leif Erikson » est devenue une de mes chansons préférées. Et dire qu’ils l’ont joué à Bordeaux, à lille… mais pas au trabendo ! Oh, les cons 🙂
Mon ami Pouge92 ne va pas me contredire… n’est-ce pas Rod ?
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très bon live report merci =) et je suis tout à fait d’accord: comment accepter qu’un tel concert se finisse? Personnellement j’ai toujours du mal à me coucher après un moment si intense :s
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Fan de la première heure (la grande claque de « Turn on the Bright Lights »), je les voyais pour la 5ème fois à Paris et ce Trabendo était pour moi la seconde meilleure prestation d’Interpol.
Le plus beau concert d’eux qui m’ait été donné de voir a eu lieu à la Boule Noire en septembre 2004 à l’occasion d’une Black Session de l’émission de lenoir sur France Inter.
Deux bémols toutefois :
– une attente vraiment très longue et du coup on regrette que le concert n’ait pas duré un petit peu plus
– On était un peu derrière et du coup on a raté les petits pas de danse habituels de l’ami Kessler.
6ème concert programmé au zénith en mars prochain
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bien, bien, bien !
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Je crois que j’en voudrais toute ma vie à la Fnac pour avoir fait un plan pareil pour se procurer les places…
La setlist est tout bonnement parfaite. J’aurais adoré être là, vivre ces instants de grâce…
Merci de nous avoir fait partager cela 🙂
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Excellent article pour un concert qui l’était tout autant.
Ma seule réserve concerne le temps d’attente plutôt conséquent. Autant dire que ce n’est rien comparé au plaisir de voir Interpol. Comme tu le soulignes, le groupe dégage une certaine prestance qui passe aussi, selon moi, par le style vestimentaire des membres. Avouons qu’ils en jettent et qu’ils ont une classe certaines. Mention spéciale à Banks, à la voix paraissant tout aussi extraordinaire que sur galette, si ce n’est plus. Et bien sûr, ce guitariste qui semble danser avec sa guitare, voire lui faire l’amour tellement il prend son pied. A vrai dire, je commence à avoir vu pas mal de concerts (tout est relatif, une trentaine peut-être), et je crois que c’est le guitariste qui m’a le plus bluffé de ce point de vue. On est comme hypnotisé.
Dernier point : le Trabendo. Première fois que j’allais dans cette salle parisienne et j’avoue l’avoir trouvé excellente (ce qui confirme ce que disaient certains de mes amis). A noter qu’en terme d’ambiance, je trouve qu’elle convient parfaitement à Interpol.
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Rien que part son timbre et son regard (merci les écrans géants du SDF, enfin quel dommage les lunettes noires au début du set du coup) tout passe sans avoir besoin d’en faire plus. Je connaissais en fait, je savais juste pas que c’était eux. Bref, très très bon.
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Excellent Isa, comme d’had tes arguments sont de taille, en lisant tes lignes, je me dis qu’un concert de cette envergure, on ne peut sûrement pas passer à côté, c’est impossible ! Rien que l’ impressionnante voix de Paul Banks doit impérativement te transporter dans un univers posthume .
De plus,tu as parfaitement réussi à intensifier mon impatience 😉
Prestement le 6 octobre !!!!
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