Chronique d’album : Bertrand Belin – Hypernuit

Bertrand Belin, Hypernuit © Leslie David

Avec ce troisième album, Bertrand Belin, qu’on apprivoise petit à petit depuis qu’en 2005, il cessa de n’être que le musicien et compositeur d’autres que lui (Nery, surtout) pour devenir un singer songwriter à part entière, fait définitivement son entrée parmi les héritiers de Brel ou de Brassens, emboîtant ainsi le pas aux plus récents Benjamin Biolay, Dominique A et autres Florent Marchet. Pourtant, s’il partage avec ces derniers un attachement pour des paroles qui ont du sens et le souci d’une musique exigeante, il s’en singularise aujourd’hui en retrouvant une sobriété et une quasi humilité qui n’ a sans doute jamais beaucoup effleuré ses confrères. 

Hypernuit. On n’aurait pu faire plus étrange, certainement, que ce titre là. Une étrangeté qui n’est pas seulement l’apanage d’un titre mais de tout un album, tant ce genre de disque ne nous est plus familier depuis longtemps déjà. Exit le parisianisme, la modernité des années 10, la mode. Adieu chères béquilles, car à l’écoute de ces douze chansons, il faut abandonner ses rassurantes habitudes et accepter l’immersion totale qui seule, permettra de goûter pleinement le voyage.

On ne sait pas trop où l’on va, d’ailleurs, désencadré par ces contours imprécis. Seuls certains éléments sont donnés – ici un chien, une maison, là une forêt et puis, un étang, un lac, de la neige, en tout cas de l’eau -, pour des textes en grande majorité constitués de suites de mots plutôt que de phrases ; à charge pour chacun de bâtir un décor fonction de son propre imaginaire.

Il faudra ensuite deviner, de la même façon, des histoires fortes qui ne sont qu’esquissées, peut être parce qu’elles seraient trop difficiles à raconter crûment. Un peu à la manière d’une littérature contemporaine (du Rapport de Brodeck de Philippe Claudel aux Hommes de Laurent Mauvignier), le procédé stylistique laisse deviner, sous une atmosphère étouffante, les drames indicibles d’un quotidien dont on ne se décharge jamais tout à fait.

Et c’est justement de tout ce qu’il ne dit pas que l’album tire sa force. Pas seulement pour la simplicité du texte, mais aussi pour celle de ses arrangements qui ne doit pas, sous une apparente austérité, faire oublier le talent d’un guitariste d’exception ni ce côté savant dont Bertrand Belin, malgré ses efforts, ne parvient pas à se départir tout à fait (ni le jazz ni le classique ne sont loin). Il n’importe : débarrassé de tout artifice, la musique relaie le propos avec une rare limpidité.

Au delà des guerres et des ambiguïtés, des vengeances, ou d’anciens évènements à coup sûr sordides, on trouvera le salut dans l’évocation d’une femme, la puissance d’une nature, la douceur d’un piano ou toujours, et plus légèrement, le velours d’une voix que n’aurait pas reniée Yves Montand.

De cette Hypernuit, ce dépouillement qui suggère sans jamais raconter vraiment, et sous une couverture faussement rébarbative, jaillit comme une vision, tout à coup : celle d’une évidente pureté, voire, d’une puissante lumière.

Un peu comme si d’un matériau brut – par exemple une origine modeste et une jeunesse rude, avouée comme assez peu lettrée – naissait un artiste d’une grande finesse, incroyablement racé et élégant. Et pour l’avoir vu sur scène, doté d’un pouvoir de séduction tout à fait exceptionnel. 

Un disque à l’image de son auteur : d’une classe extrême autant qu’intemporel.

On s’incline bien bas.

http://www.bertrandbelin.com/

 Article publié sur Discordance.fr.

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