Autant évacuer tout de suite les questions qui fâchent. Car si Carlos Dengler n’avait pas trouvé en Dave Pajo un remplaçant franchement à la hauteur, on aurait aimé qu’il soit au Zénith hier soir pour arracher sa basse au dernier en date, l’insupportable Brad Truax, lequel a quasiment gâché la fête.
Avec un instrument qui sonnait faux, un son pataud de musicien du dimanche et des parties de basse tellement plates qu’on aurait dit qu’elle avaient été réécrites de façon hyper simplifiée pour lui, le type a encore trouvé le moyen de ne pas être dans le rythme à de nombreuses reprises et pire, de passer complètement à côté du début de Evil ; dommage, lorsque c’est la basse qui ouvre le titre, qu’elle ne démarre tout simplement pas et que tout le groupe retombe comme un soufflet, condamné à l’attendre.
Certes, il est de notoriété publique que les parties de basse d’Interpol sont extrêmement difficiles à exécuter et certes, le gars n’a guère plus de huit jours de pratique mais enfin, à ce niveau de la compétition, n’y a-t-il vraiment personne qui puisse faire mieux que ça ??!! Désastreux.
Hasard malheureux du calendrier (un bassiste, par pitié, ça s’améliore forcément de concert en concert, non ?), on tâchera de ne pas trop y revenir et d’entrer enfin dans le vif du sujet.
Car il faut dire à quel point Interpol est un groupe majeur. Ce n’est ni The Cure (qui passa à Antics à Bercy avant de jouer) ni U2 (dont ils firent la 1ère partie en septembre dernier au Stade de France) qui nous contrediraient sur ce point. Comprendre que ces gens là se reconnaissent entre eux dès lors qu’ils font partie de la même engeance semble de fait inévitable.
Bien sur, il y a les chansons. Des morceaux tantôt tubesques tantôt somptueux, tantôt taillés pour la scène (beaux souvenirs d’un public reprenant « it’s all right » – Summer Well – et « Somebody makes me say no, no ! » – Success – en chœur avec Paul Banks) au potentiel historique (musicalement parlant, bien entendu),
Narc en tête (Antics) mais aussi, tiré du même album, Not even jail sans compter les plus récents Lights et son crescendo, joué dans une atmosphère psychédélique par la grâce de stromboscopes rouges et surtout le sublime Try It On dont le public parisien a pourtant été privé ce soir. Des morceaux parfois difficiles à jauger immédiatement lors des sorties d’album, la marque de fabrique du groupe étant un son réputé monocorde de 1er abord. Des morceaux pourtant rapidement addictifs, comme si la redondance de façade obligeait à tendre l’oreille pour mieux captiver l’auditoire et se l’attacher par hypnose. Sous le vernis de la cold wave coule indubitablement la lave brûlante dont on fait les plus belles pépites, comme autant de trésors que l’effort de la découverte ne peut que magnifier.
Bien sûr, il y a, reconnaissable entre toutes, la voix de Paul Banks. Bloquée dans les graves, presque d’outre tombe, à la Joy Division. On en frissonnerait tellement elle est de la beauté la plus sombre, fascinante …
Les morceaux et la voix donc. Et si l’on s’en tient à l’album, on pourrait ne retenir que ça… et passer à côté du truc.
Oui ce truc, le fameux, celui là même qui a fait que ses illustres prédécesseurs, les The Cure et U2 mentionnés plus tôt, ont indiscutablement reconnu Interpol comme l’un de ses pairs. Cette sorte de règle qui veut qu’il n’y a pas franchement de hasard allez, et que pour qu’un groupe soit énorme dès sa naissance, ce n’est jamais un seul musicien ni même chanteur, si exceptionnel soit-il, qui suffira à transcender l’ensemble. On l’a vu avec certains projets solo (qu’il s’agisse de Thom York comme tant d’autres ou notamment celui de Paul Banks lui-même), seule l’émulation d’un groupe qui compte en ses rangs non pas un mais plusieurs musiciens inspirés peut véritablement donner naissance à une formation de légende.
A vrai dire, c’est sur scène que tout se met en place et qu’Interpol fait l’évidente démonstration du talent de chacun de ses membres. On comprend alors, preuves à l’appui, ce qu’on n’avait finalement fait que ressentir sur disque.
Laissons de côté le bassiste du concert donc, puisque son cas est réglé, pour affirmer à quel point c’est justement l’absence en live du bassiste originel qui met en lumière un talent tout à fait hors normes. Chaque partie de basse qu’il n’interprète pas met un peu plus en lumière l’importance cruciale de l’instrument pour le groupe, dont on se rend compte qu’elle sert carrément de colonne vertébrale à nombre de titres.
Etroitement associée à la basse, la batterie, pourtant trop forte ce soir (fichu son du Zénith, « une fois plus » faut t‘il préciser ?), explose. Seul en charge de la rythmique compte tenu des carences de son nouvel acolyte, le batteur est peut-être plus tendu encore que d’habitude. Bien sûr, on a intérêt à avoir avalé un métronome lorsque l’on a choisi cet instrument mais voilà, Sam Fogarino a un truc en plus. Sur cette scène du Zénith, il semble concentré tout entier jusqu’au bout de ses baguettes dont il se sert avec une dextérité remarquable. D’une précision quasi chirurgicale, c’est un peu comme si l’humain avait disparu au profit d’une espèce de machine impossible à prendre en défaut. Pas un coup qui ne soit trop long ou qui ne trouve son exacte place dans le morceau, comme s’il n’y avait aucune alternative aussi parfaite et qu’il avait trouvé là le moment exact où frapper la caisse claire ou faire sonner les cymbales. Sec as hell, et foutrement impressionnant, pour tout dire : une pointure.
N’importe qui, lors de son premier concert d’Interpol, s’attend à une claque assenée par le chanteur. Ce dernier, qui communique très peu avec le public (deux ou trois « Merci » et un « Je pense qu’il faut que je dise quelque chose en français … that’s it ! », ce sera tout pour le Zénith de Paris), aura revêtu son costume de statue de marbre, beau et ténébreux champion d’une cold wave à laquelle, en effet, la froideur de la pierre sied à merveille. Statique, son regard fixe pénétrera avec une détermination glaciale ceux qui sont venus l’écouter ; de quoi faire se pâmer toute âme romantique un peu noire, tandis que la voix impeccable en live la fera succomber tout à fait.
Si la claque en question a bien lieu, rien ne prépare en revanche l’arpenteur des salles obscures à sa rencontre avec le guitariste. Surprise, c’est en fait Daniel Kessler qui est la révélation scène du groupe, illuminant le set de son hallucinante présence. En contraste saisissant avec le chanteur que rien ne semble pouvoir toucher, son plaisir à jouer est au contraire ostentatoire. Jamais, en des centaines et des centaines de concerts, on avait vu un guitariste littéralement danser avec son instrument qu’il tient serré comme d’autres feraient valser une femme, sautillant au rythme de la musique, et hop une petite combinaison de pas sur la droite, et hop un pas sauté sur la gauche, jambe pliée derrière le genou en une sorte de révérence accélérée. Le plaisir est tel qu’il serait presque sexuel ; à le voir en situation d’orgasme permanent, Daniel Kessler subjugue un public qui reprendrait bien à son compte la petite phrase « I’ll have what she’s having » (« je prendrais la même chose ») du film « Quand Harry rencontre Sally » et sa mémorable scène de simulation. Il n’empêche, le musicien est infatigable et ne s’arrête pas une seconde.
Non seulement il (mène la) danse, mais encore il passe son temps à aller et venir entre le devant et le fond de la scène, comme une vague que rien n’arrête. Plaisir très solitaire ceci étant, qu’il prend les yeux fermés dans un monde dont personne d’autre ne semble détenir la clé, loin de tous (il faudra attendre la fin du rappel et Slow Hands pour un unique regard accordé au public du Zénith, assorti d’un sourire irradié).
Clairement, le garçon ne fait pas que jouer la musique : il la vit sans autre choix possible ; au point qu’il accompagne parfois la batterie d’un mouvement de tête avec une synchronisation tellement folle qu’on se demande s’il ne précède pas possiblement la rythmique qu’un centième de seconde, donnant même le signal de la frappe. Après ça, rien de surprenant à lire que Daniel Kessler est le fondateur historique du groupe… pour lequel il compose.
La messe est dite, tout est désormais à sa place… ou presque ! Lors de la prochaine célébration à Rock en Seine cet été, ma foi, ce samedi 27 août 2011, on prierait bien pour un retour du grand Carlos.
Set List : Success / Say Hello To The Angels / Narc / Hands Away / Barricade / Rest My Chemistry / Evil / Length of Love / Lights / C’mere / Summer Well / NYC / The Heinrich Maneuver / Memory Serves / Not Even Jail // Rappel : Untitled / The New / Slow Hands / Obstacle 1
Photos by Isatagada : http://www.flickr.com/photos/isatagada/sets/72157626155947781/with/5532962024/
Vidéos by Isatagada : http://www.youtube.com/view_play_list?p=397B3209DA3074D0
Première partie : Matthew Dear, en pantalon de cuir, chemise blanche et veste de smoking, sorte de croisement musical entre Depeche Mode et Taxi Girl mais dans un style électro puissant et sans concession, ne serait-ce que pour la trompette qui l’accompagne… Très prometteur : on a vu un tas de gambettes s’agiter dans le public.
Article publié sur discordance.fr





Coucou Isa !
Un retour sur ton blog qui a donc débuté ici, vers 20 heures ce mercredi soir : c’est seulement au terme d’une semaine très chargée, marquée notamment par un séminaire et un concert, que je parviens enfin à explorer jusqu’au bout ce lien, repéré mercredi 6 au petit matin… parce que oui, tu dois être au courant : dès le 22 mars, tu as été linkée sur Dead Rooster, lui-même linké la semaine dernière sur l’un de mes blogs de référence ! Au passage, je note que j’aurais avantage à faire du tien mon troisième : quand même, moi qui suis sans doute le + Séquano-Dionysien de tes lecteurs, comment puis-je tomber sur ton billet au sujet de la Nuit des Rois seulement 11 jours après la bataille ? 😉
Quoiqu’il en soit… sans doute que certains morceaux auraient mérité une bassline un petit peu + puissante, certes, mais globalement, je le trouve quand même très bon, vu de mon salon en vidéo, ce concert d’Interpol ! Un album éponyme qui était déjà un gros coup de cœur perso en septembre, malgré toutes les critiques que j’avais pu lire la semaine de sa sortie… et c’est tout autant le cas de ce qui s’apparente grossièrement à sa présentation en live ! Une seconde « âme romantique un peu noire », du coup, qui s’en retrouve comblée 😉
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Juste un p’tit commentaire à chaud car je découvre, avec infiniment de retard, l’album de Julian Plenti – aka Paul Banks – et vraiment vraiment vraiment… WAOUH !!!! et c’est loin d’être une pâle copie d’Interpol.. je dirais même qu’il prend plus de risques…. okay, la voix est la même (c’est normal en même temps ^^) mais le phrasé change une peu sur certains morceaux… mais je trouve çà beaucoup plus riche/vaste niveau instruments.. les arrangements cordes sont somptueux…. j’adore, gros gros immense coup de coeur… donc il peut y avoir une vie « hors groupe » même si plus « off » que « in »…
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Bel article en effet…Pour ma part, je reste soulagé du départ de Dave Pajo que j ai senti « hors jeu », et ce à tous les niveaux lors de dates précédente(Bordeaux).C’était un beau moment,léger et profond à la fois..la pesanteur de la sincérité..l intégrité du propos..Magique.
En revanche cette première partie était pathétique…
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La première partie : horrible
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(hummm.. « pâmée » et « succombé »… c’est « plus meilleur »… ou je suis succombée et j’ai pâmé… re-huummm on va dire que c’est la fin d’une semaine bien chargée ^^)
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Je suis définitivement une âme romantique « un peu » noire… car je me suis pâmer et j’ai succombée… faisant fit des imperfections que je n’ai pas relevé ;-D
OMG les photos en n&b… « boum » tombée de sa chaise la fée..
D’énormes bisous ❤
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Pas de problème, merci à toi pour cet article 🙂
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Très bon compte rendu. Complètement d’accord, sans Carlos, rien à voir, il avait une place trop importante dans le groupe.
Par contre c’est « Not even jail » et non « Not in jail » !
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