
5 avril 2019, et Alain postait cette vidéo assortie du commentaire suivant : « petit jeu : à l’oreille, qui est le papa (très connu) du chanteur ? », avant que de confirmer ce qui nous sautait, non seulement aux oreilles, mais aussi aux yeux : « Elijah Hewson (19 ans), fils de Paul David Hewson dit Bono« .
Forte de ce savoir encore peu répandu, on dirait bien pourtant que j’ai désormais besoin de manquer un concert avant de prendre la mesure des phénomènes naissants (cf Sam Fender). C’est donc très naturellement que je tardais à prendre mes places pour le concert d’Inhaler au Point Ephémère le 16 octobre 2019. Comme de bien entendu, je me retrouvais fort dépourvue lorsque que la date fût complêtue (ben quoa ?).
Finalement, presqu’un an après le post d’Alain (et quasi autant à écumer les vidéos du groupe), me voici à la Maroquinerie pour confirmer de visu tout le bien que je pense déjà des quatre jeunes dublinois.
Avant tout, il faut profiter du restaurant qui ne déçoit jamais. Je commande un œuf mollet cuit à la perfection (succulent), ma chère Sarah une soupe de potiron, et ma non moins chère Sand, des lasagnes aux légumes d’hiver. A nos côtés, une longue tablée réunit les deux groupes du soir et leur staff. Pas question de les interpeller : les habitués de la salle mettent un point d’honneur à ne pas sauter sur les artistes, et il n’est pas question de déroger à la règle en jouant les groupies envahissantes.
Dans la même veine, nous ne snobons jamais les premières parties. Ce soir c’est Fuzzy Sun qui ouvre pour les irlandais, comme il le fit tantôt pour Blossoms. Les anglais ont le sens de la mélodie et ne boudent pas leur plaisir. Le set est bien rodé, les titres sont bons et entraînants comme pouvait l’être la pop un peu sucrée (sans être écœurante) des années 80, chacun des musiciens retient l’attention (excellent chanteur, guitariste charismatique, bassiste immense, impassible et fascinant…). La formation, solide, méritera très largement qu’on la suive par la suite.
L’attente ensuite parait bien longue. A 21h, pas le moindre frémissement du côté des coulisses, ce qui laisse largement le temps de cogiter. Je me sens souvent mal à l’aise pour les « fils de ». Difficile de ne pas reconnaître le coup de pouce indéniable engendré par un tel passeport. Peu de groupes bénéficient d’une tournée aussi importante (Europe et Amérique du Nord) avant même la sortie d’un premier album, ne serait-ce que dans des petites salles ou des festivals. D’un autre côté, difficile de reprocher au fruit de n’être pas tombé loin de l’arbre. Comme dirait Maxime Leforestier : « on ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille ». Et s’il est indéniable, au vu du nombre anormalement élevé de vieux briscards dans la salle, qu’Inhaler a bénéficié de la notoriété du père du chanteur, il serait injuste de ne pas reconnaître au fils, et plus largement, à l’ensemble du groupe, leur juste part.
Des fils (ou filles) de, il y en a des tas. Pas tous bons, loin s’en faut. Lulu Gainsbourg ou Christopher Still (Véronique Sanson et Stephen Still, du célèbre groupe américain Cosby, Still, Nash & Young), par exemple, m’ont particulièrement déplu sur le plan artistique. D’autres, assez nombreux, ont mieux réussi l’exercice : Rufus Wainwright, -M-, Thomas Dutronc, Arthur H ou Charlotte Gainsbourg pour ne citer qu’eux. Tous ont en commun que si leur nom de famille leur a servi au départ, il a aussi fait d’eux des artistes que l’on a scruté infiniment plus que d’autres et ce, dès leurs premiers pas. A eux, on n’a rien passé, rien pardonné, à peine laissé le temps de grandir. En particulier, on n’a cessé de les comparer à leurs parents, point par point. Toujours. Ça les a poursuivi. Ça les poursuivra jusqu’à la fin. C’est leur croix.
Cependant, pour se faire un prénom (ou dans le cas qui nous occupe, un nom de groupe), la seule caution familiale atteint rapidement ses limites. Il faut aussi travailler, persévérer, écrire de bonnes chansons, assurer sur scène, et en un mot comme en cent : avoir du talent.
A 21h15 passées, il était désormais plus que temps d’en juger.
Inutile de le nier. Théoriser sur les choses n’empêche rien. Avoir été ado dans les années 80, vu U2 dans des stades et ne pas sentir son coeur bondir dans sa poitrine à l’arrivée d’Elijah Hewson sur scène était mission impossible et c’était prévisible. Oui le petit gars a 20 ans, oui il est lui et seulement lui. Oui il y a le groupe aussi, les pauvres, ils existent. Oui c’est mal de faire un transfert. Mais on n’est pas différent du commun des mortels et merde, un mini Bono à 10 mètre de soi, est-ce vraiment si anodin ?
On détaille forcément le jeune homme des pieds à la tête. Il est petit (Bono fait, selon les sources, 1,69 voire 1,68 mètres), taillé en V, les pommettes hautes, boucle à l’oreille gauche, bagues aux doigts et une double chaîne ras du cou, les cheveux taillés à la new wave, la mâchoire bien dessinée. Hormis ses yeux un peu tombants, son nez fin et sa bouche charnue, on a indéniablement sous les yeux le portrait craché de son père. C’est bluffant. Qu’on le veuille ou non, Elijah Hewson focalise l’attention comme un aimant. Cet héritage là n’est pas donné forcément, lui l’a reçu incontestablement.
Le temps de reprendre ses esprits, un premier titre est passé alors qu’il entame It won’t alway’s be like this par un « One two three yaaaaaaaahhhhhh » qu’il maîtrise déjà à la perfection.

Le rythme relativement lent de la chanson lui permet de prendre la température de la salle qu’il balaye d’un regard auquel rien ne semble échapper. L’ambiance est là, ça danse, ça applaudit en rythme sans se faire prier, tandis que lui gère encore le truc selon les bonnes vieilles recettes : un côté à côte avec son guitariste, un rictus charmant, un regard au ciel, « how’re you fellin’ Paris ? ».
A 1:05, vous noterez son sourire, probablement causé par son supporter #1 de milieu de fosse, juché sur les épaules de son pote. Et même si tout ça est décidément très très propre, bah, en fait, le sourire, on a le même.
Elijah Hewson a la pression : il sait qu’on ne lui pardonnera pas le moindre faux pas et il s’y attend, alors il ne se lâchera pas comme ça. C’est à la fois frustrant et super mignon, de voir à quel point il a l’air de jouer sa vie comme si de rien n’était. Même pas peur. Ouais ouais c’est ça.
Ça ne l’empêche pas d’être hyper généreux et c’est dégoulinant de sueur, les yeux fermés et la tête rejetée en arrière, qu’il offre à sa voix l’occasion de s’exprimer pleinement avec A night on the floor. Là c’est carrément l’empreinte vocale de Bono qui nous embarque pour une sorte de slow chaloupé et moite plutôt très réussi, tandis qu’on distingue à ce moment précis les chœurs du bassiste (excellent Robert Keating, avec qui il joue depuis l’âge de 14 ans). Plus tard, ce dernier fera merveille sur une autre balade, My King ill be kind (à écouter ici). Magie de la musique que de donner enfin leur pleine place aux autres alors que le lead singer est lui-même à son meilleur.
Sur Move On, c’est un festival à la fois sur scène et dans le public. La chanson, soutenue par une batterie impeccable, est superbement construite et prouve une fois encore que les irlandais sont des conteurs d’histoires :
On this rainy day
I beg for your hand in marriage
I feel it’s been a pleasure
To bathe in my own discomfort
When I’m on my knees
And I feel a little spontaneous
Honey I’ve lost the ringBut I want you to know it’s on purpose
Like it’s your last nightMove on
Tandis que les premiers rangs (et plus) flirtent désormais avec un pogo gentiment festif, la basse et la guitare s’en donnent à coeur joie sur le refrain et Elijah Hewson, bien campé sur ses deux pieds dans une attitude rock n roll assumée, fait exploser sa jugulaire. Séducteur, hyper charismatique, son déhanché rappelle à présent celui d’Alex-le-bien-aimé (Arctics Monkeys, of course) avant qu’il ne tue tout à fait le game en venant chanter en bord de scène, le coude appuyé sur son genou, le visage ruisselant, au plus près de son public : « Take it ! Take it ! Take It !
Tu m’étonnes qu’on prend !
Quelle p$£@|n! de bonne chanson ! Quel performer !

Son timbre de voix est particulièrement remarquable quand il se décroche la mâchoire et la signature est plus jouissive que jamais lorsqu’il chante les « 1, 2 , 3, 4, 5 alright » de My Honest Face. Si je suis un peu déçue ce soir (ses « 1, 2 , 3, 4, 5 alright » sont plus ou moins réussis selon les concerts) le titre, possiblement le meilleur de la jeune formation, vient clôturer le concert en beauté.
Le frontman et son batteur (Ryan McMahon) sont survoltés, on entend clairement l’hommage aux KOL dans la guitare de Josh Jenkinson, et la salle qui sait qu’elle assiste là aux derniers instants du concert donne tout en réponse, sautant et chantant éperdument.
Quarante-cinq petites minutes et puis s’en va, nous laissant haletant, heureux et un peu étourdis.
Interviewé par NME, Elijah Hewson leur confiait : “We’ve known that there’s going to be doors open, but those doors will shut just as fast as they open if we’re not good.”
Après la performance du soir, on a plutôt confiance en l’avenir du groupe.
Et on tâchera d’assister à leur progression, ne serait-ce parce qu’il faudra absolument être là le jour où un certain « fils de » aura décidé qu’il a suffisamment fait ses preuves pour lâcher prise complètement et carrément tout exploser.
En fait, on ne raterait ça pour rien au monde.
Setlist : When I’m with you / It won’t always be like this / Falling In / A night on the floor / Ice cream sundae / My king wil be kind / We have to move on / Cheer up baby / There’s no other place / My honest face
Merci à la jeune fille (oui, il y avait énormément de jeunes aussi) qui m’a laissé photographier sa setlist 🙂
Photos et vidéos (c) Isatagada.
La galerie photo complète ICI
Mes (5) vidéos filmées du concert LA


Une réflexion sur “Inhaler @ la Maroquinerie | 02.03.2020 (tel père tel fils)”