Entre 2 confinements, un concert, at last – Eiffel @ Visages du monde, Cergy | 17.10.2020

Pas un seul petit concert depuis Inhaler à la Maroquinerie le 2 mars dernier. Avec la pandémie, le Trianon d’Eiffel, pourtant programmé le 13 mars – juste avant le confinement, avait été le 1er concert annulé. S’en était suivie une longue série : Mathieu Saïkaly (24 mars), Octave Noire (25 mars), Feu! Chatterton (1er avril), Foals (27 avril), Louis-Jean Cormier (27 mai), The National (10 juin), The Killers (7 juillet), Rock en Seine (adieu, Rage against the machine), Rufus Wainwright (6 novembre). Sans compter tout le reste, car c’était le minimum prévu.

A la sortie du confinement, pour les concerts en plus petite jauge, j’avais tenté d’être sage, résisté à toutes les tentations, même pour Thousand, même pour mes si chers Hanami. Je pensais que c’était un mauvais moment à passer, une sorte d’investissement. J’espérais qu’en étant sage, je serai la goutte d’eau faisant la grande rivière. Que je participerai à un retour plus rapide à la normale.

Sans trop y croire réellement.

Cette année, ma fille a réussi son concours PACES (1ère année commune aux études santé) et nous sommes si fiers d’elle, qui pourra réaliser son rêve d’être médecin. Mon oncle et mon papa sont décédés, aussi. La vie est comme ça, elle donne et elle prend. Elle s’obstine à mettre en scène ces événements « classiques », dans un monde où plus grand chose ne l’est vraiment.

Ma vie à moi, ma vraie vie, celle qui me fait battre le coeur, j’ai tout fait pour qu’elle soit ponctuée d’autre chose que du sempiternel refrain métro-boulot-dodo. Je me suis battue pour ne pas rester à la maison. Battue pour avoir d’autres horizons que ceux de la femme au foyer, une fois sortie du bureau. Battue pour avoir un jardin secret-pas-si-secret plein de moments avec mon chéri et/ou mes ami(e)s, de musique, de cinéma, de théâtre et d’expos. De journées où je fais autre chose que bosser, m’occuper des repas, du ménage, des lessives. De vacances avec d’autres horizons que ma – pourtant jolie – banlieue. De séances d’écriture avec ce blog.

Depuis mi-mars, j’ai cette sensation qu’on a activé, pour ma vie, le mode pause. Que je suis coincée là, emprisonnée dans mon costume de ménagère. Comme anesthésiée.

En ce 1er jour de reconfinement, écrire ici à nouveau n’est pas anodin. Même sans sortir, pendant ces longs mois, j’aurais pu parler culture. Raconter l’expo Turner, par exemple. Ou chroniquer le dernier album de Rufus Wainwright. Mais non. Je n’arrivais pas à m’y remettre.

Que déduire de ce redémarrage ? Mon moral n’est pas franchement à son zénith, alors quoi ? Serait-ce la résilience ? Ou au contraire, une ultime réaction plutôt que de se laisser glisser définitivement ? Ou serait-ce qu’à travers mon clavier, je reprends un peu de cette liberté qui nous manque tant à tous ? Peut-être. Mais est-ce si important, au fond ?

Un retour avec Eiffel me plait bien, pour des tas de raisons. Tout d’abord parce que j’aime bien les boucles : Eiffel était mon 1er concert annulé, il est le 1er groupe que je revois en concert. Ensuite parce que l’esprit combatif de l’indomptable Romain Humeau est un peu ce dont j’ai besoin en ce moment. Enfin parce qu’un concert d’Eiffel n’est jamais un simple concert, mais aussi une histoire d’amitié. Certainement, c’est qui explique pourquoi cette fois là, j’ai craqué.

Tout a commencé par ça, l’amitié. Et ce coup de fil de Sand me proposant au pied levé une place pour le concert à Visages du Monde, à Cergy. Malgré la mise en place du couvre-feu le même jour, il n’est pas question de ne pas y aller. Le concert commence à 18h, sans 1ère partie. Le retour à 21 heures n’est pas garanti, mais il est possible. On tente le coup ! D’abord, passer prendre l’amie Rose, puis l’ami Counot. La voiture est pleine, et sous nos masques, toutes vitres ouvertes, on parle du groupe, du couvre-feu, on se donne des nouvelles et on rit aussi ; c’est bon d’être ensemble, ça fait un bien fou !

Dans la salle, le concert est prévu assis, et chaque groupe de spectateurs est tenu à distance de l’autre par un siège d’écart, conformément aux règles sanitaires en vigueur. On nous place au 1er groupe de 4 fauteuils disponible, en hauteur, au 7ème rang. C’est un peu plus loin qu’on ne l’aurait souhaité, mais la vue est parfaite.

Romain s’amuse de nous voir tous masqués, en plus de jouer aussi tôt : « Comme je le dis chaque fois en ce moment, on a la chance de jouer devant des dentistes, MAIS ce soir c’est particulier car nous jouons certes devant des dentistes – bien que, qui sait, vous n’exercez peut-être pas tous cette profession -, et pour l’heure du goûter ! »

Le set fait la part belle aux titres du nouvel album, Stupor Machine, sorti en mai 2019, et qui regorge d’excellentes chansons. Car si Eiffel est un groupe rock, il est, pour celui qui prend le temps de l’écouter, un groupe qui n’en finit pas de nous impressionner par ses textes. Au delà des mélodies (j’aimais déjà énormément Cascades), ce sont les mots de Chasse Spleen qui me cueillent tout particulièrement ce soir. J’ai manqué mes préférés au début de la chanson, alors je vous les offre ici :

Le monde est fou

Bien moins que nous

Clowns blancs, pêcheurs de lunes

Aux quatre feuilles de la fortune

Le son, de là où nous sommes, est particulièrement bon. De quoi remettre en question notre besoin habituel de nous placer au 1er rang.

La balance n’a pas favorisé la basse d’Estelle, mais la guitare de Nicolas Bonnière (Dolly, Manu, DaYTona) nous régale. Quel bonheur de le voir prendre son pied de concert en concert ! Je vous laisse l’apprécier ici sur A tout moment la rue :

Souvent, quand il s’agit d’Eiffel, je pense aux poètes surréalistes. Depuis le DVD de son 1er album solo (l’Eternité de l’instant), où il s’exprime longuement, je prête une oreille attentive à toutes les paroles, tant, qu’il m’arrive parfois de comparer Romain Humeau à une sorte de Rimbaud des temps modernes, laissant courir ses délires de plume sans aucune censure, mêlant le beau et l’ordure pour mieux dépendre un monde qui part en vrille.

Que fait-on, dans cet hôtel borgne ?

Les morceaux du Quart d’heure des ahuris, qui reste LA référence pour tout fan du groupe, font un carton. Sombre, en fin de concert, emporte les dernières résistances d’un public qui ne peut s’empêcher de se lever. Enfin !

Un rappel plus tard (« Inferno telegraph to the hyyyyyyyyyype » reste incontournable), c’est déjà l’heure de nous quitter, bien que personne n’en ait envie. Pour la petite histoire, la moitié de la voiture n’a pas pu respecter le couvre-feu. Honnêtement, dans cet éternité de l’instant, on était heureuses, on s’en foutait. Même moi, tellement à cheval sur tout.

Et si on avait su que 13 jours plus tard très exactement, nous serions reconfinés et qu’il s’agissait là du tout dernier concert avant de plonger à nouveau dans ce tunnel sans fin, ce mini lâcher-prise nous aurait paru d’autant plus dérisoire…

So long my friends, je n’ose plus dire « à bientôt ! »

Surtout, prenez soin de vous.

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Photos et vidéos, (c) Isatagada.

Ma playlist vidéo (8 titres live) est disponible ICI

Set list en photo (pour l’anecdote, Romain n’a finalement pas joué Milliardaire – commencé, puis arrêté) :

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