Enfin ! Après toute une vie à attendre, puis des mois de report, j’étais à Bercy pour voir Alanis Morissette.
Vieilli par 2 années de Covid, Jagged Little Pill n’avait plus 25 ans, mais 27. Peu importait la raison initiale de ce concert, en fin de compte : j’avais attendu des dizaines et des dizaines d’années pour la voir, de toute façon. Je n’ai aucune idée de pourquoi l’occasion ne s’était jamais présentée, alors que j’aime si peu de femmes dans le rock ; alors que je l’avais tant aimé, elle.
Quand le concert avait été annoncé, ça avait été comme un choc. Je crois que je m’étais faite à l’idée qu’elle resterait à jamais au rang des occasions manquées, une icone à peine réelle, un souvenir de chansons reçues en pleine tête, comme des uppercuts. Une légende.
A revoir ses prestations, tout m’était revenu. Il y avait une telle force en elle, presque une rage, comme sur cette performance* de You Oughta Know on David Letterman, en 1995, avec à la batterie le regretté Taylor Hawkins – elle lui rendra hommage plus tard dans la soirée. Ses chansons m’électrisaient, me transportaient. Elles me paraissent infiniment plus grandes que moi, contenant chacune un univers immense, rendant compte des sentiments les plus intimes.
Mais après la crise Covid, la raréfaction des concerts, un premier, puis un deuxième report, mon moi profond s’était un peu recroquevillé sur lui-même, et mon enthousiasme s’était singulièrement émoussé. Le matin même, je m’étais rendue compte que je n’avais pas pris 2 places, mais 4 ; je l’avais totalement oublié. J’étais si heureuse à la perspective de ce concert qu’à l’époque, j’avais pris le maximum de billets. Panique à bord ! Heureusement, à la dernière minute, ma fille était toujours partante. Ma filleule également. Si longtemps après (février 2020, quand même) j’avais peur que les gens oublient l’événement et que l’Arena soit finalement un peu clairsemée.
Je me trompais.
Ce public-là n’aurait jamais pu oublier un tel rendez-vous. Quarantenaires en majorité, d’une fidélité à toute épreuve, ils étaient venus se replonger dans un temps passé depuis quinze ou vingt ans. Qu’ils se connaissent ou non, ils semblaient tous connectés par cette période pleine de souvenirs. Au vu des sourires, des regards complices, des gestes tendres ou fraternels, l’émotion et la bonne humeur emplissaient tout l’espace. Ce public-là chantait les paroles à tue-tête, et revivait les instants forts dont elle avait écrit la bande-son. Le spectacle était donc aussi dans la fosse, hyper bon-enfant, comme si une énorme bande de copains se retrouvait enfin.
Concernant la scène, mes sentiments étaient plus mitigés. Alanis Morissette semblait éviter nos regards, fonçait de droite à gauche d’une façon très inhabituelle, enchaînait les gestes saccadés, proches de ceux du spectre de l’autisme, se tordait les mains, se balançait d’un côté et de l’autre. Pour moi qui ne l’avais jamais vue, je ne m’attendais pas du tout à ça.
A cela s’est ajouté une légère déception sur l’aspect un peu « plan-plan » des musiciens, particulièrement à la batterie, contrastant avec le rythme sensiblement plus rapide des musiques actuelles.
Mais finalement, l’artiste a tout emporté.
Vocalement, j’étais loin d’avoir pris la mesure du phénomène. Il faut expérimenter sa performance live pour se rendre compte à quel point elle est à des années lumières d’une écoute studio ou distanciée de quelque façon que ce soit.
La voix est incroyablement hors-normes, exceptionnelle ; tellement exceptionnelle qu’on se demande même si elle ne chante pas en play-back, alors qu’elle rejette la tête loin du micro et que le son est toujours aussi impressionnant. Mais non, même à bout de bras, c’est bien elle, en direct, qui balance avec une puissance folle et une maitrise qui ne l’est pas moins. Pourtant on en a vu, des concerts, mais un organe pareil, jamais !
Le choc passé, on s’attache à ses textes qui font d’elle une sorte d’activiste décomplexée, affirmant tour à tour sa liberté de femme dans le rock ou de mère. Les titres défilent, emblématiques. On les connait par cœur ou presque. Avec tout ce qu’elle a traversé au cours d’une carrière d’une longévité peu commune (et encore moins pour une femme), le sourire est immense et on se prend en pleine gueule de leçon de vie sur leçon de vie, avec une intensité et une sincérité un peu bouleversantes.
Cette authenticité ne trompe pas et touche au cœur.
« Thank you so much, je t’aime beaucoup, I love you, take care of each other » La plus belle façon de dire au revoir et merci.
En sortant de la salle, les copains de la fosse ont prolongé l’ambiance et le moment, avec ces chants encore et encore, et cet harmonica génial.
C’était Alanis Morissette à Paris Accord Arena. Après toutes ces années. Enfin.
* Merci JPV pour le souvenir
Album photo du concert (c) Isatagada : https://www.flickr.com/photos/isatagada/albums/72177720299984644

Playlist vidéo du concert (c) Isatagada : https://www.youtube.com/watch?v=Ih9N-RnatcE&list=PLS4EfmGYf7LcWD7Nrci5ZLajGZJgFl1Bq
