Rufus Wainwright chante Judy Garland à l'Olympia 20.02.2007

OLYMPIA AFFICHE

 

Photos Lopoz – Montage Suzy

« Et je fondais […] dans un cercle démonique ! »

C’est ainsi que Rufus Wainwright, mimant la scène, raconte comment il jouait à être la sorcière du magicien d’Oz les jours où, enfant, il était de mauvaise humeur; « lorsque j’étais heureux, j’étais Dorothy » ajoute-t’il.

Et j’ai « fondu » moi aussi, est-il vraiment utile de le dire, devant l’éblouissante prestation de celui qui pendant plus de deux heures, m’a embarqué dans un univers qui (n’ayant jamais été celui de Judy Garland pour moi) restera éternellement gravé dans ma mémoire comme étant le sien. Tour à tour cabotin ou grave, dansant, roulant des yeux dans tous les sens ou assis au bord de la scène, Rufus Wainwright a fait le spectacle, assisté d’un orchestre symphonique de quarante personnes.

Retour sur ce 20 février 2007 où l’Olympia tout entier (hommes ou femmes) se régale en dévorant sans vergogne cette exquise gourmandise, malgré le dépit évident de l’artiste d’être malade et les multiples trahisons de sa voix qui le désespèrent, allant jusqu’à lui faire dire « mais pourquoi est-ce que je fais ça, qui est responsable de ce fiasco ? (« Why am i doing this ?, who’s the head of this fiasco ? »). Et tandis qu’il répond à sa propre question (« because it’s fun ! »), une voix s’élève du premier rang pour lui crier ce que nous pensons tous : « because we love you ! ».

C’est bien d’amour dont il s’agit de soir là, entre lui et son public. Et il faut être bien insensible – oserai-je dire, imbécile – pour ne pas déceler, sous le masque de l’éternel amuseur, la détresse d’un homme conscient de son incapacité à se donner à cent pour cent. Plus la voix de Rufus se dérobe, plus il tente de se rattraper en faisant le pitre et plus on le sent piégé. A en devenir irrésistible. Car il ne souffre pas seul, c’est tellement palpable. Sa sœur Martha essaiera même de le réconforter en lui disant quelques mots, avant de reprendre « Stormy Weather » d’une éclatante façon, éclipsant de très loin la prestation de Lorna Luft, la propre fille de Judy (que j’ai détesté soit dit en passant). Il n’y a pas l’homme sur scène d’un côté, et le public qui le juge de l’autre non, bien au contraire : tous, nous sommes de son côté ! Qu’il s’agisse de couples homo (nombreux) ou hétéro, de personnes seules, tous sont venus ici jouir du plaisir de voir Rufus Wainwright sur scène. Sauf que ce soir, non content de réaliser un rêve de gosse en reprenant sur scène le mythique spectacle de Judy Garland, Rufus Wainwright se paye le luxe, justement parce qu’il est malade, de n’être pas seulement un amuseur public venu faire le show d’une façon détachée, mais aussi et surtout d’être l’artiste vulnérable et fragile qui sait toucher au coeur.

Nul besoin, pourtant, de limiter sa prestation à celle de quelqu’un qui n’aurait que su susciter l’empathie d’amoureux désolés. La soirée est bien au-delà de cela, et elle est très réussie. « The show must go on » ? las, dans ce registre, Rufus est le roi, et son talent est immense, magnifique. Il se sort de tout. Il est génial. Le charisme ne se décrète pas, le sien est tellement évident qu’il en devient presque hypnotique. Il attire et retient tous les regards, il semble impossible de s’en détacher. Dans la rangée juste derrière moi, une jeune femme visiblement époustouflée murmure à son fiancé : « c’est là qu’on reconnaît un artiste ! ». Quant à moi qui n’avais pas été emballée par l’album de Judy écouté avant le concert, j’ai baissé toutes mes barrières : je suis émue sur « I can’t buy you anything but love », je swingue sur « Chicago », je ris sur « Nearer », je pleure sur « Over the rainbow », je claque même des doigts sur les morceaux les plus jazzy, enfin, je savoure chaque moment qu’il sait transformer en trésor un peu magique, me délecte du spectacle, ne vois pas le temps passer. Je m’amuse. J’adore ça ! J’adore ce Rufus là ! J’ai, fixé sur mon visage, un bête sourire de gosse émerveillé qui ne me quittera pas de toute la soirée. N’en déplaise à l’autre fille de Judy Garland, Lizza Minelli, cette « vieille sorcière » qui doit jubiler et « prendre sa revanche ce soir » (Lizza Minelli, au contraire de sa sœur, était farouchement opposée à la reprise de ce concert).

On est une star où on ne l’est pas, et en ce qui le concerne, Rufus Wainwright n’a jamais eu aucun doute à ce sujet. Mais pour moi, c’est bien à l’Olympia, cet Olympia qui l’a soutenu, porté, aimé, adoré qu’il l’est devenu officiellement aux yeux du monde.

Standing ovation d’une salle dont je comprends enfin pourquoi tant d’artistes l’ont qualifiée de magique, comme si elle avait une âme, comme si elle pouvait délivrer, lors d’exceptionnels moments de grâce, le rare sésame d’une communion unique entre un artiste et son public.

Rufus saluait une dernière fois et j’étais debout avant les autres, dans mon fameux « Rufus Rufus Rufus tee-shirt orange », bouleversée, articulant du bout des lèvres un misérable « don’t go ».

C’était fini.

« Et je fondais »…
Il fallait être à l’Olympia ce soir, devant le « plus grand artiste de variété au monde ».

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